Qu’est-ce qu’une activité entrepreneuriale ?

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À l’issue d’une recherche collective financée par l’Agence nationale de recherche, Pierre-Marie Chauvin, Pierre-Paul Zalio et moi-même coordonnons un travail collectif présentant la façon dont les sociologues analysent l’entrepreneuriat.

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Rédigé par une trentaine d’auteurs et publié en 2014 par Les Presses de Science Po, le Dictionnaire sociologique de l’entrepreneuriat explore les différentes facettes de cette activité, à partir des différentes figures de « l’entrepreneur » (l’entrepreneur, le leader d’un groupe industriel, l’entrepreneur migrant ou le indépendants) aux mécanismes qui le cadrent (les « plans d’affaires », les lois relatives à la propriété intellectuelle), à travers les concepts qui y sont souvent associés (innovation, incertitude, profit) et les réseaux interpersonnels qui le sous-tendent dans les start-ups comme dans les petits mondes des leaders de le CAC 40.

Contribué à ce livre : Gregori Akermann, Jean-François Barthe, Gilles Bastin, Jérôme Baudry, Antoine Bernard de Raymond, Jean-Philippe Berrou, Céline Bessière, Christian Bessy, Claire Champenois, Nathalie Chauvac, Pierre-Marie Chauvin, Christophe Claisse, Laurence Cloutier, Catherine Comet, Christina Constantinidis, Didry, Fanny Dubois, Francois-Xavier Dudouet, Jean Finez, Pierre François, Martin Giraudeau, Sibylle Gollac, Michel Grossetti, Gilles Guiheux, Erwan Lamy, Florent Le Bot, Ronan Le Velly, Pierre-Michel Menger, la Perbaye d’Ashveen, Fabien Reix, Alina Surubaru, Philippe Terral, Pierre-Paul Zalio.

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Entrepreneur ou activité entrepreneuriale ? Ce dictionnaire est représentatif de la diversité des points d’ancrage théoriques des auteurs qui ont écrit les différentes entrées, mais il met néanmoins l’accent sur un point de vue qui me semble être majoritaire parmi les sociologues impliqués dans ce projet. Je voudrais présenter ce point de vue succinctement ici, dans sa version la plus proche de moi. Pour faire simple, alors que beaucoup de réflexion et de recherche sont consacrées à en déterminant les caractéristiques ou qualités individuelles des entrepreneurs, il nous a semblé plus pertinent de partir de l’idée que « l’entrepreneur » en tant que personne particulière ayant des propriétés spécifiques n’existe pas. Il n’y a qu’une « activité entrepreneuriale » et les entrepreneurs ne sont que des personnes qui s’y engagent pendant une période donnée. Parce que, bien entendu, l’activité entrepreneuriale n’est pas nécessairement individuelle. Dans les études empiriques, on se rend compte qu’il est même le plus souvent réalisé conjointement par plusieurs personnes ou organisations.

Le problème est donc de comprendre, d’une part, en quoi consiste cette activité entrepreneuriale et, d’autre part, les logiques selon lesquelles les gens s’y engagent. Pour caractériser l’activité entrepreneuriale, dans l’introduction du livre, Pierre-Marie Chauvin, Pierre-Paul Zalio et moi-même proposons de faire la distinction entre ce qui relève d’une logique d’action générique (une « logique entrepreneuriale » donc) et ce qui ressort d’un le contexte spécifique d’une période donnée et des sphères particulières du monde social.

Pour identifier la logique entrepreneuriale, l’idée de base est de prendre au sérieux les utilisations métaphoriques de la notion d’entrepreneur (« entrepreneur moral », « réputation », etc.) et le sens générique du terme « entreprise ». Cette logique est présente dans des situations aussi diverses que celles de Jules César « entreprenant » de conquérir les Gaulois, Thomas « entreprenant » pour séduire Julie (Thomas est un garçon « entreprenant »), une personne « entreprenante » pour transformer sa maison, etc.

La logique À notre avis, l’esprit d’entreprise présente quatre caractéristiques principales. Premièrement, elle suppose une forme de projection vers un avenir qui ne soit pas le résultat immédiat de l’action en cours, mais une configuration souhaitée de personnes et de ressources, un « état du monde » qui doit résulter d’un processus enchaînant des séquences d’action. Les enquêtes montrent que cet état du monde souhaité ne prend pas nécessairement la forme d’un un plan, un projet ou un scénario. Elle peut rester relativement vague et inexpliquée. De toute évidence, cela peut changer au fil du temps. Elle peut également donner lieu à une formalisation ou à des explications (« plans d’affaires », « projets », etc.).

CC Patrick Mignard pour les mondes sociaux

Deuxièmement, constituée d’une série de séquences d’actions impliquant des formes d’imprévisibilité, la logique entrepreneuriale implique nécessairement un rapport à l’incertitude, aux prévisions, au risque. Cela explique les limites de tous les appareils censés rendre la situation moins incertaine, comme les « plans d’affaires » par exemple.

Troisièmement, puisqu’il s’agit de créer un état du monde différent, cette logique implique une forme de recherche du contrôle sur le monde.

Enfin, en tant que processus constitué d’une série de séquences, la logique entrepreneuriale a inévitablement une dimension narrative au double sens du terme. Tout d’abord, parce que l’on peut considèrent que les séquences successives s’influencent mutuellement et sont hétérogènes dans leur degré d’incertitude et leurs conséquences, et donc qu’elles forment un processus, une histoire. Deuxièmement, parce que cette logique implique le développement par les participants d’une intrigue liant le passé et le futur, l’intrigue se recomposant au fil des séquences. Les enquêtes montrent que les créateurs d’entreprise sont constamment appelés à raconter et à réécrire leur histoire et celle de leur projet.

Le poids des contextes En outre, la logique entrepreneuriale se déploie dans des contextes qui apportent un soutien à ceux qui s’y engagent mais qui constituent également des contraintes pour eux. Les contextes peuvent être stabilisés et faciles à saisir pour les entrepreneurs lorsqu’ils s’engagent dans des environnements industriels structurés avec des règles du jeu données, ou bien plus incertains lorsqu’il s’agit de nouvelles activités.

Dans tous les cas, les entrepreneurs aident à structurer le contexte de leurs actions. Les supports qu’ils trouvent ou construisent peuvent être de différents types. Tout d’abord, les divers mondes sociaux dans lesquels ils sont impliqués sont à l’origine de nombreuses ressources et contraintes. Même lorsque l’entreprise relève de la sphère économique, en général, ou d’un secteur d’activité donné, coexiste avec d’autres mondes sociaux. Les entrepreneurs peuvent s’appuyer sur les ressources de ces autres mondes, y compris ceux qui ne sont pas identifiés comme le contexte évident de leur entreprise : monde militant (économie sociale), communautés d’origine géographique (entrepreneurs migrants), cercles scientifiques (entreprises innovantes). De plus, c’est souvent en jouant sur le soutien apporté par plusieurs mondes que les entrepreneurs accèdent aux différentes ressources nécessaires à leur entreprise et acquièrent une perception plus large des opportunités. Deuxièmement, l’engagement des personnes dans des relations interpersonnelles, inscrites dans ces mondes, ou se présentant de manière plus isolée, et leur inclusion dans les réseaux dont ces relations sont des éléments, leur fournissent également soutien.

Troisièmement, les ressources des personnes elles-mêmes font également partie des supports, y compris les ressources cognitives, parmi lesquelles des projets plus ou moins formalisés, des théories sur le monde, des histoires (au sens d’intrigues) pour se situer dans le temps, des valeurs, des routines ou des engagements émotionnels.

Vu par les sociologues, l’entrepreneuriat n’est pas le travail d’hommes exceptionnels, mais semble être réalisé par des gens ordinaires, engagés dans des relations sociales et des mondes sociaux de toutes sortes. Ainsi, par exemple, l’engagement à créer de nouvelles entreprises n’est pas une vocation irrépressible ou une soif d’enrichissement, mais plutôt un compromis entre différentes possibilités dans des circonstances professionnelles incertaines (voir Créer une entreprise : un processus collectif et incertain). Plutôt que de suivre la logique implacable des « lois de l’économie », l’activité entrepreneuriale doit tenir compte des lois humaines et des dispositifs qui en font une réalité. Il s’agit simplement d’une activité sociale.

soutien.

Troisièmement, les ressources des personnes elles-mêmes font également partie des supports, y compris les ressources cognitives, parmi lesquelles des projets plus ou moins formalisés, des théories sur le monde, des histoires (au sens d’intrigues) pour se situer dans le temps, des valeurs, des routines ou des engagements émotionnels.

Vu par les sociologues, l’entrepreneuriat n’est pas le travail d’hommes exceptionnels, mais semble être réalisé par des gens ordinaires, engagés dans des relations sociales et des mondes sociaux de toutes sortes. Ainsi, par exemple, l’engagement à créer de nouvelles entreprises n’est pas une vocation irrépressible ou une soif d’enrichissement, mais plutôt un compromis entre différentes possibilités dans des circonstances professionnelles incertaines (voir Créer une entreprise : un processus collectif et incertain). Plutôt que de suivre la logique implacable des « lois de l’économie », l’activité entrepreneuriale doit tenir compte des lois humaines et des dispositifs qui en font une réalité. Il s’agit simplement d’une activité sociale.